Séminaire de Iva NOVAKOVA du Lidilem et Denis PERRIN du PLC dans le cadre des séminaires du groupe Langage.

15 janvier 2013, salle F108 à l'Université Stendhal (bâtiment F)

Temps chronologique, Temps linguistique ou comment les langues expriment-elles le Temps ? Iva NOVAKOVA, MCF HDR, Université Stendhal, Laboratoire de Linguistique et Didactique des Langues Etrangères et Maternelles

Résumé :
Depuis toujours le Temps intrigue les scientifiques de différentes disciplines (physiciens, philosophes, grammairiens, psychologues, historiens). Depuis toujours l’homme réfléchit à la représentation du temps et à sa conceptualisation. Le temps est différemment perçu dans les différentes cultures : linéaire en Occident, cyclique en Inde, spatial dans d’autres pays en Asie. On aimerait répondre, « en linguiste », à quelques questions qui se posent dès que l’on considère sans a priori les temps verbaux :
- Le Chronos ou la division du temps en trois époques passé, présent, futur selon un axe temporel linéaire ordonné et continu, symétrique au présent, est-il sous-jacent aux systèmes temporels des langues ?
- Y a-t-il un vrai temps présent (un maintenant) dans les langues ?
- Comment se fait-il qu’un même temps semble être à même de signifier (presque) tout et son contraire : par ex. comment expliquer qu’un temps du passé comme le passé composé puisse actualiser un procès situé dans l’époque future (On est bientôt arrivés ? et un temps du futur, un procès situé dans le passé : C’est en 1976 qu’il connaîtra ses plus grands succès. (entendu à la radio en 2012)
- Le futur conceptualisé et grammaticalisé dans les langues peut-il ou non être considéré comme symétrique du passé linguistique ?
On tâchera de répondre à ces questions à travers des exemples de différentes langues et aussi de montrer que derrière le désordre apparent du système des temps linguistiques se cache une cohérence profonde, mise à mal par la théorie des « trois époques », héritée de la Poétique d’Aristote.

 

L'indexicalité temporelle de "maintenant". Denis PERRIN, MCF UPMF et Institut Universitaire de France, laboratoire Philosophie Langage Cognition.

Résumé :
A mi-chemin de la linguistique, de la logique et de la philosophie du langage, l’approche sémantique formelle du langage se donne pour objets d’étude (notamment) le mode de référence des expressions verbales et, quand ces expressions y sont sensibles, le contexte pertinent pour leur opération référentielle, ces deux paramètres permettant, par la détermination de la valeur référentielle de l’expression, celle des conditions de vérité de l’énoncé dans lequel l’expression figure éventuellement. Les deux questions de la référence et du contexte sont particulièrement importantes lorsqu’on s’intéresse aux indexicaux (ou : déictiques), i.e. (en première analyse) à ces expressions dont la référence est déterminée par certains traits du contexte de leur occurrence (comme « je », « cet objet » dans son emploi déictique, « ici », « hier » etc.). Il existe de multiples formes de l’indexicalité temporelle dans les langues naturelles. Ma conférence portera sur un cas spécifique, largement discuté : celui de l’adverbe « maintenant » considéré dans ses emplois temporels – j’étendrai parfois mon propos au cas de « now ».
L’une des difficultés qu’offre le traitement de « maintenant » (ainsi que celui de « now ») est l’hétérogénéité des contextes temporels dans lesquels il est susceptible d’apparaître, puisqu’il peut modifier aussi bien des verbes au temps du présent que des verbes au temps du passé. Deux théories rivales s’affrontent sur les questions du compte rendu à donner des emplois de « maintenant » au temps du passé et de leur rapport avec ceux au temps du présent. L’analyse token-réflexive, issue d’une tradition classique en sémantique formelle, soutient que « maintenant » est un réflexif d’énonciation (Reichenbach, 1947 ; Prior, 1968 ; Kamp, 1971 ; Kaplan, 1989 ; Vuillaume, 1990, 2008 ; De Saussure, 2008). Mais le cas des emplois au passé a amené certains sémanticiens (Kamp & Reyle, 1993 ; Recanati, 2001, 2010) à remettre en cause l’idée que toutes les occurrences de « maintenant » sont régies par une règle sémantique token-réflexive et à soutenir que, dans certains de ses emplois tout au moins, « maintenant » fonctionne non comme un indexical mais comme un perspectival, i.e. comme un terme qui réfère à un point de perspective temporelle sans qu’aucun locuteur n’ait à occuper ce point pour énoncer l’adverbe en question.
Après avoir rappelé les termes de ce débat, je développerai l’idée que « maintenant » peut avoir pour règle sémantique de référer à l’instant de sa réception, et en conséquence, de fonctionner dans certains cas comme un réflexif de lecture. Je le montrerai en pointant ce qui sépare les deux cas de communication différée – rarement distingués – où « I am not here now » forme le contenu d’une note écrite destinée à informer un visiteur de l’absence du scripteur et où il constitue le message d’accueil d’un répondeur téléphonique (Sidelle, 1991 ; Predelli, 1998 ; Parsons, 2008). Cela me conduira à rejeter la théorie perspectivale et à amender la théorie token-réflexive, y compris dans sa version vuillaumienne.

 

Références
De Saussure, L., « Maintenant : présent cognitif et enrichissement pragmatique », 2008
Kaplan, D., « Demonstratives », 1989
Kamp, H., « Formal Properties of ‘Now’ », 1971
Kamp, H. & Reyle, U., From Discourse to Logic, 1993
Parsons, J., « Assessment-contextual Indexicals », 2008
Predelli, S., « Utterance, Context, and the Logic of Indexicals », 1998
Prior, A.N., « Now », 1968
Recanati, F., « Are ‘Here’ and ‘Now’ Indexicals? », 2001
Recanati, F., « Indexicality and Context-Shift », 2010
Reichenbach, H., Elements of Symbolic Logic, 1947
Sidelle, A., « The Answering Machine Paradox », 1991
Vuillaume, M., Grammaire temporelle des récits, 1990
Vuillaume, M., « Maintenant en contexte narratif non-fictionnel », 2008


Lieu du séminaire : Université Stendhal (F108) de 16h30 à 18h30

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