Dans un article publié le 4 novembre 2010 dans la revue Psychological Science, des chercheurs du Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (CNRS/Universités Grenoble 2/Université Chambery) dévoilent que les cadets et les benjamins présentent une meilleure capacité que les aînés à reconnaître la parenté entre des visages inconnus. C’est l’une des rares tâches cognitives où les puînés sont avantagés !

Nos premières années de vie, notre place dans la fratrie, influencent fortement notre personnalité, nos comportements sociaux et nos capacités cognitives. L’environnement d’un aîné sera donc très différent de celui d’un cadet ou d’un benjamin. Ainsi, dans les parcours scolaires et les tâches cognitives, les aînés présentent des performances généralement supérieures, que l’on explique par le « tutorat » qu’ils exercent dans l’enfance auprès de petits frères et sœurs (1).
A l’interface de la psychologie cognitive et de la biologie évolutive, une nouvelle recherche, menée par Gwenaël Kaminski et ses collaborateurs du Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (LPNC) et de l’Université Nationale de Taiwan, pointe pour la première fois un désavantage des aînés dans une tâche cognitive. Les individus puînés montrent de meilleures capacités que les aînés lorsqu’il s’agit de détecter la parenté entre des visages qu’ils ne connaissent pas.
Un fondement important de la biologie évolutive est l’existence de mécanismes permettant de discriminer les individus qui nous sont apparentés. Cette « reconnaissance de parentèle » conditionne de nombreuses attitudes sociales, sexuelles ou altruistes. Selon un modèle théorique récent (2), chez l’Homme, les aînés et les puînés s’appuieraient sur des indices différents pour associer les autres individus de leur fratrie. Pour reconnaître son petit frère ou sa petite sœur en tant que tel, l’aîné peut simplement s’appuyer sur la forte association qui lie sa mère et le nouveau-né. En revanche, le puîné ne peut pas bénéficier de cet indice, et doit donc développer d’autres stratégies pour reconnaître son aîné en tant que frère ou soeur. Ce modèle met en avant pour les puinés la durée de la cohabitation comme critère majeur de parenté. Gwenaël Kaminski et ses collaborateurs suggèrent de leur côté que le puîné peut également exploiter la ressemblance faciale entre son aîné et ses parents. Ils ont émis l’hypothèse que la plus forte motivation poussant les puînés à reconnaître leur parenté sur la base de la ressemblance faciale peut les amener également à mieux détecter la parenté entre des visages qu’ils ne connaissent pas.
Les chercheurs ont utilisé des portraits (Figure) dans deux tâches d’appariement qu’ils ont soumises à des participants adultes et enfants, vivant dans deux pays différents (France et Taïwan).
Les résultats montrent que les puînés sont effectivement meilleurs à détecter la parenté entre des visages d’individus inconnus que les aînés, dans les deux tâches d’appariement et ce, quelle que soit la population (adulte/enfant, Francais/Taiwainais).
Cet avantage des puînés dans une tâche de détection visuelle contraste avec l’avantage des aînés dans de nombreuses tâches cognitives. Mais cette découverte rejoint d’autres travaux qui leur attribuent des compétences sociales particulières. Cette étude souligne comment les liens de parenté conditionnent, dans une fratrie, des motivations diverses, entraînant des compétences spécifiques qui pourront être exploitées au cours de la vie.

 

Figure : Dans la tâche d’appariement (A), le participant doit indiquer qui est la maman du bébé parmi trois choix possible (ici celle de droite). Dans la tâche de comparaison, le participant doit indiquer si les deux individus sont apparentés (1) ou non (2). © G. Kaminski, LPNC

 

Notes :
(1) Selon le modèle de confluence de Robert Zajonc, durant l’enfance, les aînés sont entourés des influences adultes et de ce fait, interagissent avec un environnement plus intellectuel (à l'opposé des plus jeunes entourés de leurs frères et/ou sœurs). Lorsque que les autres enfants font leur apparition au sein de la famille, l’aîné prend le rôle de tuteur des plus jeunes. Ce rôle pourrait expliquer leur capacités intellectuelles plus élevés.
Explaining the relation between birth order and intelligence. P Kristensen, T Bjerkedal, Science (2007), Volume 316, N°5832, pages 1717, doi :10.1126/science.1141493

(2) The architecture of human kin detection. D Lieberman, J Tooby & L Cosmides, Nature (2007), Volume 445, pages 727–731, doi:10.1038/nature05510

 

En savoir plus :
G Kaminski, F Ravary, C Graff, E Gentaz. Firstborns’ Disadvantage in Kinship Detection. Psychological Science. Published online December 4, 2010, doi:10.1177/0956797610388045

 

Contact chercheurs :
Kaminski Gwenaël, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Edouard Gentaz, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (LPNC)