Même les bébés prématurés âgés de 33 semaines d’aménorrhée, environ 2 mois avant le terme (40 semaines d’aménorrhée) sont capables de reconnaître et de discriminer deux objets de formes différentes (prisme et cylindre) avec leur main droite ou gauche ! C’est ce que montrent des chercheurs de deux laboratoires : le laboratoire de psychologie et neurocognition (CNRS/UPMF/U.Savoie) et le laboratoire de psychologie de la perception (CNRS/U.Paris Descartes) en collaboration avec une équipe du service de néonatologie du CHU de Grenoble. C’est la première fois qu’est mise en évidence une perception manuelle déjà efficiente chez des bébés prématurés.


A l’origine de toute connaissance perceptive, les organes des sens et les systèmes sensoriels du bébé prématuré sont moins efficients que ceux, bien qu’encore inachevés, du bébé né à terme. Dès les premières minutes qui suivent sa naissance, un nouveau-né à terme commence à recevoir des stimulations tactiles en grand nombre : il est lavé, placé sur le ventre de sa mère, allaité, langé… Son corps a donc déjà des contacts avec d’autres peaux que la sienne, avec des linges, draps, tétines... bref, avec des objets de textures, de consistances et de formes différentes. Le grasping (une forte flexion des doigts lorsque l'on place un index dans la paume de l'enfant) n’est pas qu’un simple réflexe, le nouveau-né né à terme possède déjà, dès les premières heures de vie, une véritable perception manuelle, une capacité tactile qui lui permet d’appréhender son environnement. Mais qu’en est-il pour le bébé prématuré, sachant qu’il présente des fonctions neurologiques d’autant plus immatures qu’il est né en avance ?

Pour le savoir, les chercheurs ont mené une expérience auprès de 24 bébés prématurés âgés de 33 à 34+6 semaines d’aménorrhée (SA) (environ 2 semaines après leur naissance). Leur âge gestationnel moyen (âge de naissance) était de 31 SA (soit après environ 7 mois de grossesse) et leur poids moyen à la naissance était de 1500 g. L’équipe de recherche a proposé une méthode expérimentale basée sur l’habituation (première phase) et la réaction à la nouveauté (seconde phase), similaire à celle utilisée chez les nouveau-nés à terme. Cette méthode s’appuie sur un principe simple et universel qui est le désintérêt progressif que nous manifestons pour un objet familier et le regain d’attention que nous avons pour un objet nouveau. Ainsi, lors de la première phase, l'expérimentateur met un petit objet (prisme pour la moitié des bébés et cylindre pour l’autre) dans une main du bébé (la main droite pour la moitié des bébés et la main gauche pour l’autre). Dès que le nourrisson lâche l'objet, l'expérimentateur le lui remet dans la main et mesure ainsi à chaque essai le temps de tenue de l’objet. Les chercheurs observent que celui-ci diminue aux cours des essais, témoignant que le bébé s’est « habitué » à la forme de l'objet.
Dans une seconde phase, une fois le bébé habitué à un objet, les chercheurs présentent à la moitié d’entre eux un objet avec une nouvelle forme, et à l’autre moitié l’objet familier (le même qu’en phase d’habituation). Résultat : le temps de tenue est plus élevé pour l’objet nouveau (réaction à la nouveauté) que pour l’objet familier. Ceci prouve que la baisse des temps de tenue (observée durant la première phase) n’est pas due à une fatigue des bébés sinon ils ne s'intéresseraient pas plus à quelque chose de nouveau.

Cette expérience montre pour la première fois que les bébés prématurés sont capables de reconnaître un objet avec leur main (habituation tactile) et qu’ils présentent une préférence pour l’objet nouveau, reflétant ainsi sa capacité à faire la différence entre deux objets de formes différentes (discrimination tactile). Autrement dit, à chaque tenue de l’objet, les bébés prématurés comme ceux nés à terme, sont capables d’extraire tactilement de l’information sur sa forme, de la stocker temporairement dans leur mémoire et de la comparer avec une nouvelle prise d’information tactile. Si l’objet est le même, ils cessent de le tenir, si il est différent, ils s'y intéressent davantage. Les bébés prématurés, comme les nouveau-nés à terme sont ainsi des consommateurs de nouveauté tactile, et donc des apprenants en herbe.

Ces résultats apportent une meilleure connaissance des capacités perceptives des bébés prématurés. Ce qui devrait aider les professionnels des services de néonatologie à optimiser les interventions et les soins prodigués aux prématurés, notamment dans le but de réduire leur stress et de leur offrir des conditions optimales à leur développement.
Les résultats de cette étude sont publiés sur le site de la revue PLoS ONE.

 

Bébé prématuré tenant un cylindre dans la main. © Frédérique Berne-Audéoud